Marques : articulation entre le principe de spécialité et le volet alcool de la loi Evin

 Le principe de spécialité du droit des marques est énoncé à l’article L. 713-3 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI). Selon ce principe, le titulaire d’une marque dispose d’un monopole sur son signe pour les produits et services que la marque désigne. Il est toutefois nuancé lorsque les produits en cause se trouvent être des boissons alcoolisées.

 

En effet, la loi Evin n°91-32 du 10 janvier 1991 remet en cause cette logique au nom de raisons impérieuses de santé publique. La loi interdit la propagande et la publicité indirecte en faveur des boissons alcoolisées. Or, la coexistence entre une marque désignant des produits type boissons alcoolisées et des marques antérieures désignant d’autres classes serait une forme de propagande et contribuerait indirectement à faire de la publicité en faveur de la marque postérieure identique ou similaire désignant des boissons alcoolisées.

 

Ainsi, en application de cette loi, une marque désignant des boissons alcoolisées peut être enregistrée mais le titulaire de marques antérieures est libre d’intenter une action en annulation à l’égard de cette marque postérieure quand bien même les différentes marques ne désigneraient pas les mêmes produits.

 

C’est l’article L. 3323-3 du Code de la santé publique (CSP) qui sert de base à de telles demandes d’annulation. Il affirme qu’« Est considérée comme propagande ou publicité indirecte la propagande ou publicité en faveur d’un organisme, d’un service, d’une activité, d’un produit ou d’un article autre qu’une boisson alcoolique qui, par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une dénomination, d’une marque, d’un emblème publicitaire ou d’un autre signe distinctif, rappelle une boisson alcoolique. »

 

A cet égard, la Cour de cassation admet un champ d’application large de ce fondement. La société DIPTYQUE a ainsi pu obtenir l’annulation de la marque « Diptyque » enregistrée par la société HENESSY, désignant des produits alcoolisés dans un arrêt du 20 novembre 2012 (Cass Com., 20 novembre 2012, n°12-11753). Dans cet arrêt, la Cour de cassation ne prend pas en considération que les marques antérieures désignent des produits et services différents des boissons alcoolisées et ne seraient donc pas des antériorités. Au moyen d’une analyse in abstracto, elle retient que « le dépôt de la marque Diptyque par la société HENNESSY et la commercialisation de produits sous celle-ci créaient une entrave à la libre utilisation de la marque première ».

 

Cependant, une jurisprudence plus récente a adopté une approche plus nuancée du champ d’application de l’article L. 3323-3 du CSP.

 

Dans un jugement du 3 novembre 2017, le tribunal de grande instance de Paris a retenu une analyse globale de la situation. En l’espèce la société CACHE-CACHE, titulaire de deux marques antérieures « Cache-Cache », demandait l’annulation de la demande d’enregistrement d’une marque « Cache-Cache » désignant des boissons alcoolisées. Les juges du fond n’ont pas accédé à cette requête au motif que la société n’avait pas démontré « en quoi l’exploitation de ses marques pour des vêtements et accessoires pour femmes dans ses boutiques éponymes et sur internet via ses sites cachecache.fr et cachecache.com pourrait être considérée comme une publicité indirecte en faveur de boissons alcoolisées ».  Autrement dit, l’identité ou la similitude des marques en cause, ne générait pas automatiquement une publicité indirecte en faveur de boissons alcoolisées. La marque seconde ne portait donc pas atteinte aux marques antérieures.

 

Dans ce contexte, pour obtenir l’annulation d’une marque postérieure identique ou similaire désignant des boissons alcoolisées il faudra donc démontrer l’existence réelle d’une publicité indirecte prohibée par l’article L. 3323-3 du CSP entravant le rayonnement de la marque première. Apporter la preuve que les consommateurs peuvent être amenés à établir un lien entre les marques respectives des sociétés est un moyen permettant de démontrer un tel préjudice.

 

Grâce à cette décision le principe de spécialité retrouve toute sa force, au détriment des titulaires de marques antérieures qui ne pourront plus revendiquer leurs droits antérieurs de manière absolue. Reste à savoir si la Cour de cassation suivra ce raisonnement ou pas.

 

Affaire à suivre.

 

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